Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Qui a tué Marilyn ? Peut-être bien la psychanalyse."Marilyn, dernières séances" de Michel Schneider

Publié le par Sarah

Qui a tué Marilyn? Peut-être bien la psychanalyse

Dans un roman captivant où les personnages sont vrais et leurs propos tirés de notes, récits, dictées, lettres ou entretiens, Michel Schneider raconte les deux dernières années de la vie de Marilyn Monroe. 

mds.jpg

Extrait d'interview (Source)

Pourquoi Marilyn enregistra-t-elle ces confessions?

M.S. Sa relation avec Greenson devenait de plus en plus difficile à supporter. Pour elle comme pour Greenson. Elle a donc décidé de ne plus parler devant lui (ou plutôt dans la même pièce car Greenson appliquait la méthode freudienne: le patient sur un divan, le psy en retrait sur un fauteuil) mais de le faire chez elle, devant un magnétophone, à ses moments perdus. Elle pensait qu'en agissant ainsi elle parviendrait à dire davantage de choses. Marilyn aurait donc enregistré deux ou trois bandes qu'elle aurait ensuite données à Greenson et que ce dernier aurait fait entendre à l'enquêteur John Miner dans les jours qui ont suivi la mort de l'actrice. Miner aurait alors transcrit ces bandes. L'année dernière, John Miner a vendu ces transcriptions au Los Angeles Times qui les a publiées en intégralité. Ce sont les dernières confessions de Marilyn. Mais les bandes elles-mêmes ont disparu mystérieusement au lendemain de son décès... Personnellement, j'ai des doutes sur l'authenticité de ces bandes. 

Qu'est-ce qui vous fait douter?

M.S. Elles sont très favorables à la thèse de Ralph Greenson, c'est-à-dire à l'idée que Marilyn ne se serait pas suicidée mais qu'elle n'aurait pas non plus été assassinée, qu'il y aurait eu une interaction médicamenteuse entre ce que Greenson lui avait prescrit et les drogues et les médicaments qu'elle prenait par ailleurs en douce. Ces bandes sont comme mon livre: vraiment fausses. Ce livre, c'est du "mentir-vrai", comme disait Aragon. Le roman ne répond pas à la question de la vérité mais il construit une nécessité. Il introduit la notion de destin. Au final, on se moque de savoir si telle ou telle scène s'est vraiment déroulée comme je l'écris. Ce qui compte, c'est que le roman permet de montrer que la rencontre entre Marilyn et Greenson était à la fois impossible et nécessaire. Or c'est la définition même du tragique: impossible et nécessaire. Cette histoire est quand même une tragédie: Marilyn meurt alors que, apparemment, elle a résolu tous ses problèmes sexuels et professionnels dans les derniers jours qui précèdent sa disparition. 

Vous semblez pourtant défendre la thèse de Miner: une overdose accidentelle...

M.S. Ce n'est pas impossible. C'est une piste. Pour moi, la mort de Marilyn est un "meurtre sans assassin", pour reprendre le titre du film dans lequel joue Truman Capote (Murder by Death). Marilyn est morte parce qu'il y avait trop de mort en elle, et depuis trop longtemps. Elle était habitée par ce que les psychanalystes appellent la pulsion de mort. Sa vie quotidienne ne pouvait donc aller que vers la détresse. Il est possible que ce soit ce qui l'a amenée à prendre des médicaments incompatibles, à se mettre entre les mains d'une garde-malade pas très nette non plus, à fréquenter des types qui traînaient dans les night-clubs tenus par des mafieux notoires de la bande de Frank Sinatra (qui était à la fois son amant et le patient de Greenson en même temps qu'elle, ce qui peut sembler dingue...). Je multiplie les indices mais tous vont dans des sens différents. 

Peut-on dire que Greenson a une part de responsabilité dans la mort de Marilyn?

M.S. Greenson est un homme de paradoxes. Il a certainement été très généreux avec Marilyn: il lui a tout donné. Mais, en même temps, c'était un individu très intéressé par l'argent, le pouvoir, la reconnaissance sociale. Lorsqu'il commence à l'analyser, en 1960, Marilyn était la femme la plus célèbre du monde. Il en a tiré une satisfaction réelle, même s'il est vraisemblable qu'il n'ait jamais voulu coucher avec elle. Beaucoup d'histoires ont couru sur Greenson. Des témoins disent l'avoir vu au domicile de Marilyn le soir de sa mort, lui faisant une injection intracardiaque. Mais ces témoins ne me semblent pas très fiables. Ce sont des types d'extrême droite et la dimension antisémite était, à l'époque, très importante: le médecin juif qui tue sa patiente, voilà qui pouvait résonner dans certains milieux policiers d'extrême droite. Mais il est vrai que Greenson adorait faire des piqûres à ses patients. Dans son livre sur la psychanalyse, il écrit que le médecin ne doit jamais toucher le corps du malade mais on sait qu'il adorait administrer des substances chimiques sous forme de piqûre. 

6f0aa1868c0ac304_landing1.jpg

Peut-on dire que Greenson a outrepassé les limites de la psychanalyse?

M.S. En accueillant chez lui sa patiente, oui. Il envoyait même ses enfants lui chercher ses drogues à la pharmacie. Et il est devenu très puissant sur les tournages: c'est lui qui fixait les cachets que touchait Marilyn, donnait son avis sur un cadre, relisait les scripts... 

On est très loin de la psychanalyse freudienne, non?

M.S. En effet. C'est d'autant plus troublant que Greenson a étudié la psychanalyse en Europe auprès de Freud lui-même. Il a fait ses études à Vienne, est arrivé à Hollywood et s'est spécialisé dans les acteurs. Ses patients s'appelaient Vincente Minnelli, Tony Curtis, Vivien Leigh, Frank Sinatra... et Marilyn Monroe. 

Entre eux, vous parlez d'une "histoire d'amour sans amour". Que voulez-vous dire exactement?

M.S. Ils étaient incompatibles et inséparables. Beaucoup de couples vivent ainsi, vous savez... Trop mal pour vivre ensemble mais trop bien pour pouvoir se quitter. A la fin, Marilyn voyait son psy, Greenson, sept jours sur sept et à raison de deux à trois séances par jour! Il n'avait plus d'autres patients. Il restait quatre heures avec elle le matin puis revenait quatre heures dans l'après-midi. Et elle l'appelait le soir ou dans la nuit. De temps en temps, il l'hébergeait chez lui, même lorsque sa famille était présente. Greenson a joué le rôle (qu'il croyait devoir jouer) de la mère réparatrice, de la mère qui accueille. C'est un amour sans amour dans le sens où il n'y a pas eu de sexe entre eux. Je présume que s'ils avaient couché ensemble, l'un et l'autre s'en seraient mieux sortis. Marilyn le provoquait pourtant sans cesse, lui parlant jusque dans les moindres détails de ses amants et de ses expériences sexuelles. Seul le corps, c'est-à-dire une décharge pulsionnelle, aurait permis qu'il y ait moins de folie dans leurs rapports. Je ne peux pas affirmer que tout aurait été pour le mieux mais qui sait... 

On a également prétendu que Greenson se trouvait dans la voiture de Bobby Kennedy arrêtée par la police la nuit de la mort de Marilyn...

M.S. Oui, il n'est pas impossible que cela soit vrai. Je ne sais pas si les Kennedy sont les assassins de Marilyn mais on ne peut pas reprocher au président des Etats-Unis et au ministre de la Justice, qui sont l'un et l'autre les amants de l'actrice qui vient de mourir dans des conditions énigmatiques, d'envoyer immédiatement le FBI nettoyer les traces, laver les draps et confisquer tous les documents compromettants. La dissimulation était bien le moins qu'ils pouvaient faire. Pour eux, la mort de Marilyn était une affaire d'Etat. Il est possible qu'ils aient utilisé Greenson pour nettoyer certaines choses. Il a peut-être participé au nettoyage et il s'est peut-être trouvé sur les lieux du décès plus tôt qu'il ne l'a ensuite déclaré à la police. 

Pourquoi Greenson n'a-t-il pas été inquiété davantage par la police?

M.S. L'institution psychanalytique s'est sentie globalement atteinte par la mort de la patiente la plus célèbre du monde. Elle a donc fait bloc pour ne pas accabler le malheureux Greenson. Dans les lettres qu'elle lui envoie, Anna Freud, la fille de Sigmund, fait semblant de ne pas avoir connu Marilyn alors qu'elle l'a eue elle-même en analyse six ans plus tôt! 

Peut-on dire que c'est la psychanalyse qui a tué Marilyn?

M.S. C'est ce qu'affirment les ennemis de la psychanalyse. Je ne dirai pas les choses ainsi. Marilyn est morte d'un mélange de Nembutal et d'hydrate de chloral. Mais il est certain que derrière la cause médicale de la mort, on peut chercher un mélange de psychanalyse dérégulée et d'amour passionnel. Mais on peut aussi dire que la psychanalyse a permis à Marilyn de vivre quatre ans de plus. En 1957, elle avait déjà fait une tentative de suicide, qu'elle récidivera quelques années plus tard. On peut soutenir que l'étrange cure entreprise par Greenson allait peut-être porter ses fruits. A la place de Greenson, qu'aurais-je fait? Peut-être aurais-je agi de la même façon? Marilyn était dépressive. Il est certain qu'en étendant leur relation au-delà de la cure freudienne traditionnelle, Greenson n'a peut-être pas arrangé les choses. Il est possible qu'il ait transformé la pathologie de Marilyn en folie. En termes psychiatriques, on appelle cela la "folie à deux": prises séparément, les deux personnes ne sont pas folles; mises ensemble, surgit une folie qui n'aurait pas surgi dans leurs vies respectives si leurs trajectoires ne s'étaient pas croisées. Marilyn était très déséquilibrée, toxicomane, souffrant d'un syndrome d'abandon. Greenson, lui, était un névrosé narcissique très soucieux de son image. Ce sont deux pathologies, pas deux folies. Mais la rencontre de ces deux pathologies a généré une grande folie. 

Le "cas Marilyn" est-il un échec de la psychanalyse?

M.S. Non. C'est l'échec d'un psychanalyste qui a cédé à sa passion d'emprise et à son propre désir de reconnaissance. A sa volonté d'être sur le devant de la scène. Marilyn et Greenson ont peu à peu échangé leurs symptômes: elle est devenue une femme de mots et il est devenu un homme d'images. Greenson a accepté de s'assujettir à la logique terrible de ces machines à faire de l'argent que sont les studios hollywoodiens. 

Faut-il lire ce roman comme une mise en garde contre la psychanalyse?

M.S. Je pense, en effet, que la psychanalyse comporte ses dangers. Elle est aussi capable de magnifiques réussites. Mais il est important de comprendre que ce n'est pas parce qu'on fait une psychanalyse que l'on va régler tous ses problèmes. Surtout, ne pas croire cela! Ni que l'on trouvera la vérité, sa vérité. D'ailleurs, la vérité, généralement, on la connaît déjà soi-même et on n'a pas besoin de passer des années sur un divan pour la découvrir. 

813.jpg

Commenter cet article